Bien s’alimenter ? C’est le pied !

16/01/2019 | Observateurs du monde

Au cours de cet échange avec Frédéric Wallet, nous aurons la chance d’évoquer son riche parcours et d’expliciter ce qu’est l’INRAE avant de nous attarder plus précisément sur le livre qu’il a récemment publié : “Manger demain : fake or not ?”. Dans ce cadre, nous vous expliquerons en quoi consistent les labels, le nutri-score et nous nous arrêterons également sur la responsabilité des acteurs concernant l’alimentation durable, l’engagement des cantines bio et/ou végans et l’autonomie alimentaire des grandes métropoles telles que Paris.

Rencontre.

Jus No Filter Pomme Gingembre

©Frédéric Wallet

 

Pouvez-vous nous présenter un peu votre parcours ? 

Je suis docteur en économie, spécialiste des questions de développement rural et d’économie agricole. J’ai enseigné pendant quelques années en école d’ingénieur avant de rejoindre ce qui était à l’époque l’INRA (aujourd’hui INRAE). 

J’ai ensuite été en charge de l’animation nationale de PSDR, un important programme de recherche à INRAE, traitant des questions de développement territorial. J’occupe toujours cette fonction aujourd’hui, et nous engageons actuellement la 5ème génération de ce programme, rebaptisé TETRAE pour marquer une volonté de produire des connaissances scientifiques utiles aux processus de transition et à l’adaptation au changement climatique. 

Parallèlement, je suis impliqué dans le RMT Alimentation Locale depuis sa création en 2015. J’y anime, avec plusieurs collègues, notamment les groupes de travail sur les systèmes alimentaires locaux, la logistique des circuits courts, et le tout nouveau chantier consacré à la démocratie alimentaire.

Qu’est-ce que l’INRAE et quels sont ses champs d’action ? 

INRAE, l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement est né le 1er janvier 2020. Il est issu de la fusion entre l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) et l’IRSTEA (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture). 

INRAE est un organisme leader dans le monde dans trois domaines scientifiques : l’agriculture, l’alimentation et l’environnement.

Il contribue à relever des défis sociétaux en proposant par la recherche, l’innovation et l’appui aux politiques publiques de nouvelles orientations pour accompagner l’émergence de systèmes agricoles et alimentaires durables, et ce qui touche à l’humain et au vivant sur Terre.

Jus No Filter Pomme Gingembre

©INRAE

Combien de personnes travaillent actuellement à l’INRAE ?

Plus de 11000 personnes travaillent ainsi au quotidien dans l’un des 18 centres de recherche (regroupant 268 unités de recherche, de service et expérimentales) répartis sur le territoire national afin de produire et diffuser des connaissances pour répondre aux enjeux de société […]

Désormais l’accent est mis sur l’élaboration de dispositifs d’innovation ouverte permettant la circulation des idées, des connaissances et des expériences ; et favorisant le dialogue avec les citoyens pour expliquer, débattre et renforcer leur participation.

Merci pour cette présentation générale. Nous aimerions maintenant parler de votre livre “Manger demain : fake or not ?” publié en septembre 2021 par Tana Editions. Vous évoquez notamment la question des labels. Justement, comment peut faire le consommateur face à la multitude de labels existants ?

Difficile pour le consommateur de faire son choix face à la multiplicité des labels et des allégations présentes sur les emballages. Les formules déclaratives laissent libre court à l’imagination de leurs rédacteurs, qui peuvent avoir des interprétations très diverses de notions promues comme argument marketing, comme « allégé », « traditionnel » ou encore « local ».

Les marques promeuvent également des labels privés définissant des critères de fabrication qui leur sont propres, et qui peuvent évoluer au fil du temps. 

A contrario, les labels officiels sont soumis à des cahiers des charges et contrôlés par des organismes indépendants.

Selon les labels, des caractéristiques particulières sont mises en valeur. L’indication géographique protégée et l’appellation d’origine protégée par exemple garantissent que le produit provient d’un terroir délimité pour sa production et/ou sa transformation. 

Le Label Rouge offre des garanties quant à la qualité du produit ; tandis que le label AB pour les conditions de production sans intrants chimiques et antibiotiques. 

Bien que répondant à des cahiers des charges diversifiés, ces labels officiels offrent généralement un niveau de garantie supérieur, donc une forme d’assurance pour le consommateur concernant les conditions de production et/ou l’origine du produit. Les systèmes de contrôle permettent de limiter les comportements de fraude, sans toutefois les éradiquer. […]

3 jus No Filter

©Sarah Fouquet

A ce propos, quelles sont vos astuces et vos bonnes pratiques à recommander aux consommateurs ?

Une connaissance de ce que recouvrent les labels est donc utile pour le consommateur. Au-delà, une lecture attentive des informations fournies par les étiquettes s’impose pour éviter de se faire berner par des mentions trop attractives parfois mensongères ou qui a minima visent à détourner l’attention du consommateur sur certaines pratiques ou certains composants (additifs, huile de palme, faible teneur en un produit noble pourtant affiché en gros comme les truffes…). […] 

Afin d’éviter les entourloupes, sur la qualité et l’origine des produits, le plus simple est souvent de s’approvisionner auprès d’un commerçant ou d’un consommateur qui a notre confiance.

Et pour cela, plus la chaîne du producteur au consommateur est courte, moins le produit est transformé, plus il est facile d’éviter les pièges et de connaître l’origine et les méthodes de production. A la ferme, sur les marchés, dans les magasins de producteurs ou les boutiques spécialisées, l’information et le conseil vont souvent de pair avec l’achat d’un produit alimentaire.

Qu’est-ce que le nutri-score ? 

Le Nutri-Score a été mis en place pour la première fois en France en 2017. Depuis son utilisation s’est étendue à plusieurs pays (Belgique, Suisse, Allemagne, Espagne, Pays-Bas, Luxembourg). 

Ce dispositif mis en œuvre par Santé publique France peut être apposé par les producteurs sur leurs produits sur la base du volontariat. L’objectif était de faciliter la compréhension des informations nutritionnelles par les consommateurs afin de les aider à faire des choix éclairés. Pour cela un système simple d’étiquetage nutritionnel à l’avant des emballages. 5 lettres, de A à E, sur un dégradé de couleurs de vert à rouge, définissent une notation des produits.

Est-ce que le nutri-score est pertinent selon vous pour le consommateur ?

Ce système de notation a aussi ses limites. Utile pour comparer des produits similaires entre eux, il ne met pas en avant toutes les qualités nutritionnelles d’un aliment. Réduit à la mesure des nutriments, il laisse de côté additifs et minéraux. 

Autre limite importante : le degré de transformation des produits n’est pas non plus intégré.

Ce qui aboutit à affecter de meilleures notes à certains aliments ultra transformés qu’à des produits de terroirs aux méthodes de production traditionnelles […]

Il est donc essentiel de ne pas s’en tenir à cette seule notation pour établir notre régime alimentaire. Ce n’est pas parce qu’un produit affiche un A ou un B sur le Nutri-Score qu’il est souhaitable d’en consommer chaque jour sans se poser de question. 

D’autant que la manière dont on consomme le produit a elle aussi son importance. Ajouter une épaisse couche de fromage et de la sauce à la crème dans les spaghettis, baigner les pommes de terre dans l’huile pour goûter des frites font basculer le score du produit de base.

Enfin, ces indices sont calculés sur la base d’apports nutritionnels pour 100 grammes pour les aliments ou pour 100 millilitres pour les liquides. Or ces quantités peuvent être très loin de la consommation réelle des consommateurs : on ne consomme pas 1 litre d’huile d’olive comme 1 litre de soda.

Et ce nutri-score a-t-il un impact pour les producteurs ?

L’intérêt du Nutri-Score a été de sensibiliser acteurs des filières agricoles et consommateurs aux enjeux du lien entre alimentation et santé, et au besoin de mettre en place des outils d’information plus transparents. 

Cet outil, parfois jugé simpliste voire poussant à la paresse au lieu de construire et transmettre une culture alimentaire comme composante de la citoyenneté et de l’identité, est décrié par une partie de la profession agricole. 

Pourtant, on aurait tort de souhaiter le rejeter en vrac et sans alternative crédible. Une réflexion collective pour son amélioration s’impose. Elle est d’ailleurs en cours afin de mieux prendre en compte le degré de transformation des aliments, et d’intégrer les profils des mangeurs par exemple et leurs habitudes alimentaires. Mais dans tous les cas, ceci ne dispensera jamais d’une réflexion de chacun de nous sur la manière dont on se nourrit.

3 jus No Filter

©Sarah Fouquet

A votre avis, les changements qui mèneront à une alimentation plus durable doivent passer par les consommateurs, les Etats, l’UE ou les organisations internationales ? 

[…] On peut faire porter la responsabilité du changement sur les consommateurs, mais ils achètent ce qu’ils trouvent dans les magasins au prix qui leur est proposé, et sont soumis au feu incessant du marketing […]

Les scénarios pour une alimentation durable convergent vers la nécessité de régimes alimentaires plus végétalisés, permettant de réduire la part des protéines animales, mais aussi plus faibles en gras et en sucre, pour une large part présents dans les aliments ultra-transformés, dont la part va crescendo dans notre alimentation. 

[…] Pour l’heure, les bilans montrent que les politiques qui ont été engagées depuis le début du siècle, par exemple la PAC pour le cas européen, sont très largement en-deçà des exigences. 

Malgré des objectifs ambitieux, on peut craindre une nouvelle fois, que la déclinaison agricole du Pacte Vert de l’Union européenne ne se traduise pas concrètement par des avancées suffisantes par rapport aux enjeux. Les contours de la nouvelle PAC paraissent à la fois susceptibles de fragiliser la compétitivité des filières européennes et insuffisamment contraignants pour répondre à l’urgence des enjeux. Les solutions existent pourtant permettant d’orienter les aides pour accélérer les changements, tout en protégeant les filières européennes par des systèmes de surtaxe des agricultures non durables ou de clauses miroir.

Concernant les plats transformés : comment faire pour bien manger alors que le mode de vie des habitants des grandes villes est de plus en plus rapide, laissant peu de temps à la préparation de plats maison ?

 Le temps passé à préparer et avaler les repas a tendance à se réduire, avec notamment le recours croissant à l’achat de repas tout prêts au supermarché ou qu’on se fait livrer, l’essor du snacking, et une part croissante de repas pris hors domicile. 

 Nos habitudes alimentaires sont plus déstructurées et le contenu de nos assiettes confié à d’autres. 

 Parallèlement, en moyenne un français passe 5h par jour devant un écran et consulte plus de 200 fois son smartphone. Ces chiffres sont nettement plus importants pour les jeunes générations.[…]

 Retrouver le plaisir d’acheter des produits frais et naturels afin de les cuisiner est la première démarche.[…] Avec Internet, trouver des recettes adaptées à nos compétences et nos envies n’a jamais été aussi simple. Et il est possible de cuisiner plusieurs repas pour éviter de le faire chaque jour. […]

3 jus No Filter

©Sarah Fouquet

Que pensez-vous de la proposition de certains maires écologistes d’instaurer des menus végétariens et bio dans les cantines ? 

Pendant longtemps l’alimentation bio a été marginale. Plus cher, peu répandu dans les pratiques agricoles, avec des filières non organisées en France, le bio était considéré comme un marqueur social, et souvent brocardé par la profession agricole comme par nombre de consommateurs. Aujourd’hui les choses ont changé. L’offre bio est plus variée, plus importante, plus abordable. […] 

Cet appétit pour le bio doit beaucoup aux cantines scolaires, et à la volonté des parents et de certains élus de proposer des produits de qualité, sans pesticides, aux enfants. 

 L’offre de repas bio dans la restauration collective a ainsi crû très rapidement au cours des dernières années, avec une capacité à maîtriser les coûts en repensant les menus, les sources d’approvisionnement, et en réorganisant les cantines.

 Aujourd’hui cette offre est devenue le quotidien d’un grand nombre de cantines, même si elle ne concerne pas tous les produits. La question des menus végétariens est plus sensible car les produits à base de protéines animales, notamment la viande, sont des mets à forte composante symbolique. 

Bien manger c’est encore souvent avoir un produit carné (à la rigueur un poisson) dans son assiette. Cela fait désormais partie des pratiques courantes, oubliant qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Il existe donc encore de fortes réticences face aux repas végétariens, mais les choses évoluent et une part croissante des mangeurs ne consomment plus nécessairement des plats à base de viande à chaque repas. […]

 Je dois également rappeler qu’une part importante de la viande de piètre qualité importée par la France est à destination de la restauration collective. L’enjeu des repas végétariens est donc aussi celui de l’impact environnemental et de la souveraineté alimentaire.

 Toutefois, cela exige de réfléchir à la confection des repas végétariens, et donc à une formation adaptée des cuisiniers et des gestionnaires des cantines. Si on remplace l’horrible steak haché semelle par un affreux friand essentiellement composé d’huile de palme et d’un amas de graisses végétales, on n’aura rien gagné…sauf des revenus pour l’agro industrie.

 Les démarches des maires en faveur des menus végétariens et bio me semblent ainsi aller dans le sens de l’histoire en sensibilisant la population à ce type de repas. Moins de viande mais une viande de meilleure qualité est un objectif nécessaire et crédible pour une alimentation durable.

Une métropole telle que Paris a-t-elle la possibilité de mettre en place une alimentation durable à grande échelle ? Ou cela n’est envisageable qu’à une échelle plus restreinte telles que des villes moyennes, petites, voire à la campagne?

Au cours du 21ème siècle la population mondiale devrait atteindre 10 à 11 milliards d’individus, et les villes représenter 80% des besoins alimentaires. Il est donc essentiel de mener une réflexion sur les moyens de nourrir les urbains, et notamment les populations des grandes métropoles.

Dès 2015, à travers le Pacte de Milan, un réseau international s’est constitué pour tenter d’innover et de partager les expériences entre villes du monde pour apporter des solutions en faveur d’une alimentation urbaine durable. Certes toutes les métropoles n’ont pas les mêmes potentialités pour mener de telles stratégies, en fonction de leur taille, de leur potentiel agricole et des terres disponibles… 

Mais des entités urbaines de grande taille se sont lancées dans l’aventure un peu partout sur la planète, y compris dans des villes comme New York, Bangkok ou Rio. Paris ne fait pas exception et dessine actuellement sa future politique alimentaire. 

Pour ces métropoles, l’enjeu n’est bien évidemment pas de parvenir à une stricte autonomie alimentaire intra muros, mais bien de mettre en place une stratégie et des politiques alimentaires visant à nourrir leur population de manière plus durable. 

Cela passe par une réflexion sur le foncier agricole, sur le renforcement des filières locales, les outils de transformation et les infrastructures logistiques, mais aussi par exemple par une évolution des formes d’approvisionnement des cantines, et l’éducation des mangeurs. […] 

Pour des villes comme Paris, il s’agit également de développer des formes d’agriculture urbaine, mais celles-ci ne peuvent suffire à nourrir une population de cette taille. 

Donc une réflexion en termes de bassin alimentaire (c’est-à-dire de surface nécessaire pour alimenter la population) et de partenariats avec les territoires ruraux de proximité en mesure de répondre à ces besoins s’avèrent nécessaires. […]

Merci Frédéric et à bientôt !

  • Pour commander le livre “Manger demain : fake or not ?” rendez-vous par ici.
  • N’hésitez pas à jeter un coup d’œil à l’interview d’Anthony Fardet, également chercheur à l’INRAE et créateur de l’application Siga, permettant de repenser notre alimentation tout en évitant les produits ultra transformés.

 

Envie de faire d’autres rencontres positives et durables ?

Plongez aux côté de l’association  Coral Guardianqui protège et restaure les récifs de coraux dans le monde.

Partez à la rencontre de Julien, le co-fondateur de Blutopia, le média qui fait des vagues ! 

 

Au cours de cet échange avec Frédéric Wallet, nous aurons la chance d’évoquer son riche parcours et d’expliciter ce qu’est l’INRAE avant de nous attarder plus précisément sur le livre qu’il a récemment publié : “Manger demain : fake or not ?”. Dans ce cadre, nous vous expliquerons en quoi consistent les labels, le nutri-score et nous nous arrêterons également sur la responsabilité des acteurs concernant l’alimentation durable, l’engagement des cantines bio et/ou végans et l’autonomie alimentaire des grandes métropoles telles que Paris.

Rencontre.

Jus No Filter Pomme Gingembre

©Frédéric Wallet

Pouvez-vous nous présenter un peu votre parcours ? 

Je suis docteur en économie, spécialiste des questions de développement rural et d’économie agricole. J’ai enseigné pendant quelques années en école d’ingénieur avant de rejoindre ce qui était à l’époque l’INRA (aujourd’hui INRAE). 

J’ai ensuite été en charge de l’animation nationale de PSDR, un important programme de recherche à INRAE, traitant des questions de développement territorial. J’occupe toujours cette fonction aujourd’hui, et nous engageons actuellement la 5ème génération de ce programme, rebaptisé TETRAE pour marquer une volonté de produire des connaissances scientifiques utiles aux processus de transition et à l’adaptation au changement climatique. 

Parallèlement, je suis impliqué dans le RMT Alimentation Locale depuis sa création en 2015. J’y anime, avec plusieurs collègues, notamment les groupes de travail sur les systèmes alimentaires locaux, la logistique des circuits courts, et le tout nouveau chantier consacré à la démocratie alimentaire.

Qu’est-ce que l’INRAE et quels sont ses champs d’action ? 

INRAE, l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement est né le 1er janvier 2020. Il est issu de la fusion entre l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) et l’IRSTEA (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture). 

INRAE est un organisme leader dans le monde dans trois domaines scientifiques : l’agriculture, l’alimentation et l’environnement.

Il contribue à relever des défis sociétaux en proposant par la recherche, l’innovation et l’appui aux politiques publiques de nouvelles orientations pour accompagner l’émergence de systèmes agricoles et alimentaires durables, et ce qui touche à l’humain et au vivant sur Terre.

 

 

Blutopia Julien et Malaury

©INRAE

Combien de personnes travaillent actuellement à l’INRAE ?

Plus de 11000 personnes travaillent ainsi au quotidien dans l’un des 18 centres de recherche (regroupant 268 unités de recherche, de service et expérimentales) répartis sur le territoire national afin de produire et diffuser des connaissances pour répondre aux enjeux de société […]

Désormais l’accent est mis sur l’élaboration de dispositifs d’innovation ouverte permettant la circulation des idées, des connaissances et des expériences ; et favorisant le dialogue avec les citoyens pour expliquer, débattre et renforcer leur participation.

 

Merci pour cette présentation générale. Nous aimerions maintenant parler de votre livre “Manger demain : fake or not ?” publié en septembre 2021 par Tana Editions. Vous évoquez notamment la question des labels. Justement, comment peut faire le consommateur face à la multitude de labels existants ?

Difficile pour le consommateur de faire son choix face à la multiplicité des labels et des allégations présentes sur les emballages. Les formules déclaratives laissent libre court à l’imagination de leurs rédacteurs, qui peuvent avoir des interprétations très diverses de notions promues comme argument marketing, comme « allégé », « traditionnel » ou encore « local ».

Les marques promeuvent également des labels privés définissant des critères de fabrication qui leur sont propres, et qui peuvent évoluer au fil du temps. 

A contrario, les labels officiels sont soumis à des cahiers des charges et contrôlés par des organismes indépendants.

Selon les labels, des caractéristiques particulières sont mises en valeur. L’indication géographique protégée et l’appellation d’origine protégée par exemple garantissent que le produit provient d’un terroir délimité pour sa production et/ou sa transformation.

Le Label Rouge offre des garanties quant à la qualité du produit ; tandis que le label AB pour les conditions de production sans intrants chimiques et antibiotiques. 

Bien que répondant à des cahiers des charges diversifiés, ces labels officiels offrent généralement un niveau de garantie supérieur, donc une forme d’assurance pour le consommateur concernant les conditions de production et/ou l’origine du produit. Les systèmes de contrôle permettent de limiter les comportements de fraude, sans toutefois les éradiquer. […]

Blutopia Julien et Malaury

©Sarah Fouquet

A ce propos, quelles sont vos astuces et vos bonnes pratiques à recommander aux consommateurs ?

Une connaissance de ce que recouvrent les labels est donc utile pour le consommateur. Au-delà, une lecture attentive des informations fournies par les étiquettes s’impose pour éviter de se faire berner par des mentions trop attractives parfois mensongères ou qui a minima visent à détourner l’attention du consommateur sur certaines pratiques ou certains composants (additifs, huile de palme, faible teneur en un produit noble pourtant affiché en gros comme les truffes…). […] 

Afin d’éviter les entourloupes, sur la qualité et l’origine des produits, le plus simple est souvent de s’approvisionner auprès d’un commerçant ou d’un consommateur qui a notre confiance.

Et pour cela, plus la chaîne du producteur au consommateur est courte, moins le produit est transformé, plus il est facile d’éviter les pièges et de connaître l’origine et les méthodes de production. A la ferme, sur les marchés, dans les magasins de producteurs ou les boutiques spécialisées, l’information et le conseil vont souvent de pair avec l’achat d’un produit alimentaire

Qu’est-ce que le nutri-score ? 

Le Nutri-Score a été mis en place pour la première fois en France en 2017. Depuis son utilisation s’est étendue à plusieurs pays (Belgique, Suisse, Allemagne, Espagne, Pays-Bas, Luxembourg). 

Ce dispositif mis en œuvre par Santé publique France peut être apposé par les producteurs sur leurs produits sur la base du volontariat. L’objectif était de faciliter la compréhension des informations nutritionnelles par les consommateurs afin de les aider à faire des choix éclairés. Pour cela un système simple d’étiquetage nutritionnel à l’avant des emballages. 5 lettres, de A à E, sur un dégradé de couleurs de vert à rouge, définissent une notation des produits.

 

Est-ce que le nutri-score est pertinent selon vous pour le consommateur ?

Ce système de notation a aussi ses limites. Utile pour comparer des produits similaires entre eux, il ne met pas en avant toutes les qualités nutritionnelles d’un aliment. Réduit à la mesure des nutriments, il laisse de côté additifs et minéraux. 

Autre limite importante : le degré de transformation des produits n’est pas non plus intégré.

Ce qui aboutit à affecter de meilleures notes à certains aliments ultra transformés qu’à des produits de terroirs aux méthodes de production traditionnelles […]

Il est donc essentiel de ne pas s’en tenir à cette seule notation pour établir notre régime alimentaire. Ce n’est pas parce qu’un produit affiche un A ou un B sur le Nutri-Score qu’il est souhaitable d’en consommer chaque jour sans se poser de question. 

D’autant que la manière dont on consomme le produit a elle aussi son importance. Ajouter une épaisse couche de fromage et de la sauce à la crème dans les spaghettis, baigner les pommes de terre dans l’huile pour goûter des frites font basculer le score du produit de base.

Enfin, ces indices sont calculés sur la base d’apports nutritionnels pour 100 grammes pour les aliments ou pour 100 millilitres pour les liquides. Or ces quantités peuvent être très loin de la consommation réelle des consommateurs : on ne consomme pas 1 litre d’huile d’olive comme 1 litre de soda.

Et ce nutri-score a-t-il un impact pour les producteurs ?

L’intérêt du Nutri-Score a été de sensibiliser acteurs des filières agricoles et consommateurs aux enjeux du lien entre alimentation et santé, et au besoin de mettre en place des outils d’information plus transparents. 

Cet outil, parfois jugé simpliste voire poussant à la paresse au lieu de construire et transmettre une culture alimentaire comme composante de la citoyenneté et de l’identité, est décrié par une partie de la profession agricole. 

Pourtant, on aurait tort de souhaiter le rejeter en vrac et sans alternative crédible. Une réflexion collective pour son amélioration s’impose. Elle est d’ailleurs en cours afin de mieux prendre en compte le degré de transformation des aliments, et d’intégrer les profils des mangeurs par exemple et leurs habitudes alimentaires. Mais dans tous les cas, ceci ne dispensera jamais d’une réflexion de chacun de nous sur la manière dont on se nourrit.

Blutopia Julien et Malaury

©Sarah Fouquet

A votre avis, les changements qui mèneront à une alimentation plus durable doivent passer par les consommateurs, les Etats, l’UE ou les organisations internationales ? 

[…] On peut faire porter la responsabilité du changement sur les consommateurs, mais ils achètent ce qu’ils trouvent dans les magasins au prix qui leur est proposé, et sont soumis au feu incessant du marketing […]

Les scénarios pour une alimentation durable convergent vers la nécessité de régimes alimentaires plus végétalisés, permettant de réduire la part des protéines animales, mais aussi plus faibles en gras et en sucre, pour une large part présents dans les aliments ultra-transformés, dont la part va crescendo dans notre alimentation. 

[…] Pour l’heure, les bilans montrent que les politiques qui ont été engagées depuis le début du siècle, par exemple la PAC pour le cas européen, sont très largement en-deçà des exigences. 

Malgré des objectifs ambitieux, on peut craindre une nouvelle fois, que la déclinaison agricole du Pacte Vert de l’Union européenne ne se traduise pas concrètement par des avancées suffisantes par rapport aux enjeux. Les contours de la nouvelle PAC paraissent à la fois susceptibles de fragiliser la compétitivité des filières européennes et insuffisamment contraignants pour répondre à l’urgence des enjeux. Les solutions existent pourtant permettant d’orienter les aides pour accélérer les changements, tout en protégeant les filières européennes par des systèmes de surtaxe des agricultures non durables ou de clauses miroir.

Concernant les plats transformés : comment faire pour bien manger alors que le mode de vie des habitants des grandes villes est de plus en plus rapide, laissant peu de temps à la préparation de plats maison ?

 Le temps passé à préparer et avaler les repas a tendance à se réduire, avec notamment le recours croissant à l’achat de repas tout prêts au supermarché ou qu’on se fait livrer, l’essor du snacking, et une part croissante de repas pris hors domicile. 

 Nos habitudes alimentaires sont plus déstructurées et le contenu de nos assiettes confié à d’autres. 

 Parallèlement, en moyenne un français passe 5h par jour devant un écran et consulte plus de 200 fois son smartphone. Ces chiffres sont nettement plus importants pour les jeunes générations.[…]

 Retrouver le plaisir d’acheter des produits frais et naturels afin de les cuisiner est la première démarche.[…] Avec Internet, trouver des recettes adaptées à nos compétences et nos envies n’a jamais été aussi simple. Et il est possible de cuisiner plusieurs repas pour éviter de le faire chaque jour. […]

Blutopia Julien et Malaury

©Sarah Fouquet

Que pensez-vous de la proposition de certains maires écologistes d’instaurer des menus végétariens et bio dans les cantines ? 

Pendant longtemps l’alimentation bio a été marginale. Plus cher, peu répandu dans les pratiques agricoles, avec des filières non organisées en France, le bio était considéré comme un marqueur social, et souvent brocardé par la profession agricole comme par nombre de consommateurs. Aujourd’hui les choses ont changé. L’offre bio est plus variée, plus importante, plus abordable. […] 

Cet appétit pour le bio doit beaucoup aux cantines scolaires, et à la volonté des parents et de certains élus de proposer des produits de qualité, sans pesticides, aux enfants. 

 L’offre de repas bio dans la restauration collective a ainsi crû très rapidement au cours des dernières années, avec une capacité à maîtriser les coûts en repensant les menus, les sources d’approvisionnement, et en réorganisant les cantines.

 Aujourd’hui cette offre est devenue le quotidien d’un grand nombre de cantines, même si elle ne concerne pas tous les produits. La question des menus végétariens est plus sensible car les produits à base de protéines animales, notamment la viande, sont des mets à forte composante symbolique. 

Bien manger c’est encore souvent avoir un produit carné (à la rigueur un poisson) dans son assiette. Cela fait désormais partie des pratiques courantes, oubliant qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Il existe donc encore de fortes réticences face aux repas végétariens, mais les choses évoluent et une part croissante des mangeurs ne consomment plus nécessairement des plats à base de viande à chaque repas. […]

 Je dois également rappeler qu’une part importante de la viande de piètre qualité importée par la France est à destination de la restauration collective. L’enjeu des repas végétariens est donc aussi celui de l’impact environnemental et de la souveraineté alimentaire.

 Toutefois, cela exige de réfléchir à la confection des repas végétariens, et donc à une formation adaptée des cuisiniers et des gestionnaires des cantines. Si on remplace l’horrible steak haché semelle par un affreux friand essentiellement composé d’huile de palme et d’un amas de graisses végétales, on n’aura rien gagné…sauf des revenus pour l’agro industrie.

 Les démarches des maires en faveur des menus végétariens et bio me semblent ainsi aller dans le sens de l’histoire en sensibilisant la population à ce type de repas. Moins de viande mais une viande de meilleure qualité est un objectif nécessaire et crédible pour une alimentation durable.

Une métropole telle que Paris a-t-elle la possibilité de mettre en place une alimentation durable à grande échelle ? Ou cela n’est envisageable qu’à une échelle plus restreinte telles que des villes moyennes, petites, voire à la campagne?

Au cours du 21ème siècle la population mondiale devrait atteindre 10 à 11 milliards d’individus, et les villes représenter 80% des besoins alimentaires. Il est donc essentiel de mener une réflexion sur les moyens de nourrir les urbains, et notamment les populations des grandes métropoles.

Dès 2015, à travers le Pacte de Milan, un réseau international s’est constitué pour tenter d’innover et de partager les expériences entre villes du monde pour apporter des solutions en faveur d’une alimentation urbaine durable. Certes toutes les métropoles n’ont pas les mêmes potentialités pour mener de telles stratégies, en fonction de leur taille, de leur potentiel agricole et des terres disponibles… 

Mais des entités urbaines de grande taille se sont lancées dans l’aventure un peu partout sur la planète, y compris dans des villes comme New York, Bangkok ou Rio. Paris ne fait pas exception et dessine actuellement sa future politique alimentaire. 

Pour ces métropoles, l’enjeu n’est bien évidemment pas de parvenir à une stricte autonomie alimentaire intra muros, mais bien de mettre en place une stratégie et des politiques alimentaires visant à nourrir leur population de manière plus durable. 

Cela passe par une réflexion sur le foncier agricole, sur le renforcement des filières locales, les outils de transformation et les infrastructures logistiques, mais aussi par exemple par une évolution des formes d’approvisionnement des cantines, et l’éducation des mangeurs. […] 

Pour des villes comme Paris, il s’agit également de développer des formes d’agriculture urbaine, mais celles-ci ne peuvent suffire à nourrir une population de cette taille. 

Donc une réflexion en termes de bassin alimentaire (c’est-à-dire de surface nécessaire pour alimenter la population) et de partenariats avec les territoires ruraux de proximité en mesure de répondre à ces besoins s’avèrent nécessaires. […]

Merci Frédéric et à bientôt !

  • Pour commander le livre “Manger demain : fake or not ?” rendez-vous par ici.
  • N’hésitez pas à jeter un coup d’œil à l’interview d’Anthony Fardet, également chercheur à l’INRAE et créateur de l’application Siga, permettant de repenser notre alimentation tout en évitant les produits ultra transformés.

 

Envie de faire d’autres rencontres positives et durables ?

Plongez aux côté de l’association  Coral Guardianqui protège et restaure les récifs de coraux dans le monde.

Partez à la rencontre de Julien, le co-fondateur de Blutopia, le média qui fait des vagues !